


Aucun des témoins de la rébellion de Catherine Fellingham n’aurait pu prévoir qu’une telle chose allait se produire. Certainement pas sa mère, qui comptait sur le bon sens de sa fille aînée pour compenser l’absence du sien. Ni son père, qui, à peine quinze jours auparavant, après une crise de larmes particulièrement violente de sa seconde fille, Evelyn, avait déclaré que rien ne lui faisait autant honneur que la nature calme de Catherine. Ni son frère Frederick, qui, en proie perpétuelle à des égarements, n’évitait le scandale des intrigues que grâce aux manipulations subtiles de Catherine. Et pas même Evelyn, souvent privilégiée dans la maisonnée. Non, la seule personne qui aurait pu avoir une vague idée de ce qui se tramait était Melissa, la benjamine de la famille, âgée de treize ans. Celle-ci, cependant, n’était pas présente dans la salle à manger ce matin-là, mais confortablement installée dans la salle d’étude, occupée à conjuguer avec application des verbes français.
La journée avait commencé de façon tout à fait ordinaire, avec les habituelles récriminations de chacun sur la piètre qualité des mets servis.
– Je ne comprends vraiment pas pourquoi notre cuisinière n’arrive pas à préparer le chocolat aussi bien que celle de tante
Louisa, déclara Evelyn, sa jolie bouche en forme de cœur s’affaissant aux commissures. En quoi est-ce si difficile ?
– Ma chère Evelyn, la réconforta sa mère en prenant place à table et en faisant signe à Hawkins de lui servir des œufs. Nous devons faire preuve de patience. Cook souffre de rhumatismes.
– Je ne vois pas le rapport, répliqua Evelyn, qui n’avait de patience pour aucune excuse hormis les siennes. Nous parlons de chocolat, pas de sa santé. Assurément, je mérite un petitdéjeuner convenable. Est-ce vraiment trop demander ?
– Oui, gamine, c’est trop, rétorqua Frederick qui, à dix-neuf ans, n’avait qu’un an de plus qu’elle. D’ailleurs, tu es toujours en train de demander quelque chose. Ne parlions-nous pas hier, et ce pendant une durée insupportable, de ce chapeau à plumes d’autruche que tu devais absolument avoir ?
Il s’assit en face d’Evelyn et déploya sa serviette avec élégance. Voyant qu’il était simplement vêtu d’un pantalon jaune moulant et d’une chemise en lin blanche, sa mère soupçonna qu’il se rendait à la salle d’entraînement de Gentleman Jackson, pour s’adonner à une activité qu’elle trouvait extrêmement déplaisante et vulgaire.
– Bah, balaya Evelyn avec désinvolture. C’est différent. Les chapeaux à plumes d’autruche de Madame Claude font fureur, et j’aurais l’air d’une parfaite idiote si je me promenais avec les modèles de la saison dernière. Il m’en faut un. Ce dont j’ai besoin et ce que je désire sont deux choses bien distinctes.
– Nom de Dieu ! s’exclama une voix depuis le bout de la table.
Sir Vincent, le patriarche du clan Fellingham, leva la tête de derrière son journal, qu’il lisait tranquillement depuis plus d’une demi-heure.
–
Dites-moi, ma chère, ces œufs sont atroces. Pourquoi m’at-on servi une assiette d’œufs trop cuits ?
– Parce que la cuisinière souffre de rhumatismes, répondit Evelyn avec insolence, s’attirant un regard de sa mère, nullement amusée par son trait d’esprit.
– Qu’avez-vous dit ? demanda Sir Vincent.
C’était un homme robuste, de taille moyenne, aux épaules carrées, au nez oblique et aux yeux noirs qui lançaient fréquemment des regards courroucés en direction de son épouse, une femme menue dont la sensibilité était aussi délicate que sa beauté. Ensemble, ils formaient un couple étrange, totalement incompatible par leur tempérament, et la plupart des gens, y compris leurs enfants, se demandaient comment ils avaient seulement pu s’unir.
– Parlez plus fort, jeune fille. De quelles rumeurs s’agit-il ?
– Pas des rumeurs, Sir Vincent, mais des rhumatismes, corrigea Lady Fellingham en portant une serviette à ses lèvres, les tapotant délicatement. Je suis certaine de vous avoir déjà mentionné ce problème, mais je crois savoir que ce genre de sujet ne vous intéresse pas le moins du monde, en général. Je vous en prie, retournez donc à votre lecture et ne vous inquiétez pas pour nous. Nous nous débrouillerons, comme toujours.
– Comment pouvez-vous dire cela, maman ? lui reprocha Evelyn, consternée. Je vous assure que c’est de la plus haute importance. Ce chocol…
– Enfant gâtée, cesse d’importuner ta mère, l’interrompit Frederick.
– Moi ? s’écria presque Evelyn, ses jolies lèvres en forme de cœur perdant de leur charme tandis qu’elles se retroussaient en un rictus. Comment oses-tu dire cela ? Maman…
– Pour l’amour du ciel, Liza, soupira Sir Vincent en pliant son journal avant de le poser sur la table.
Ce n’était certainement pas ce qu’il avait à l’esprit lorsqu’il avait décidé de prendre son petit-déjeuner chez lui plutôt qu’à son club.
– Ne pouvez-vous pas faire taire votre couvée de mécréants pour un seul repas ?
Sur ce, la pièce explosa en disputes, Liza défendant sa couvée de mécréants tandis que lesdits païens s’insurgeaient d’être ainsi traités par leur père.
– Les œufs sont trop cuits parce que Frederick est rentré hier soir à quatre heures du matin et a demandé à Caruthers de réveiller Cook pour qu’il lui prépare une collation matinale. Et puis, Freddy s’est endormi à table avant même que la collation ne soit servie. Quant au chocolat, il est toujours léger. Même si la cuisinière avait dormi sept heures d’affilée, une performance qu’on ne peut que lui souhaiter, le chocolat serait toujours aussi léger. Je suggère, Evelyn, qu’à moins que vous ne soyez prête à vous rendre dans les cuisines de tante Louisa pour apprendre vous-même à préparer cette boisson, vous vous habituiez à ce que votre chocolat soit léger.
Les quatre autres occupants de la pièce, interloqués, cessèrent leur bavardage et se tournèrent pour dévisager l’autrice de ce discours des plus inhabituels.
Miss Catherine Fellingham était assise à l’extrémité de la table, vêtue de la même robe en coton blanc qu’elle portait le matin et lisant le journal comme à l’accoutumée. Parcourir les nouvelles pour éviter les conversations futiles avec sa famille était une astuce de son père qu’elle avait adoptée trois ans auparavant, lorsque chaque petit-déjeuner était rempli de
bavardages sur tel bal ou telle réception mondaine auxquels elle avait assisté la veille. Durant sa première saison dans la haute société, sa mère l’avait bombardée de questions incessantes : avait-elle parlé à Lord Bessborough ? Avait-elle dansé avec le vicomte Eddington ? M. Yardley l’avait-il conduite à dîner ? Les attentes étaient si élevées et son propre succès si modeste qu’elle s’était retirée du tourbillon social dès qu’elle l’avait pu – ainsi que de sa famille.
Elle assistait toujours aux réceptions, bien entendu, servant de chaperon à Evelyn, qui faisait ses débuts cette saison. Et parfois, elle s’amusait. Pas plus tard qu’hier soir, par exemple, toutes deux avaient vu Kean dans une merveilleuse représentation de Hamlet. Bien sûr, Evelyn, sans surprise, n’avait pas pu tenir en place, trop occupée à examiner les occupants des autres loges. Mais Catherine avait profité du spectacle. Catherine possédait cette faculté discutable d’ignorer chaque membre de sa famille, à l’exception de Melissa. Elle aimait être en compagnie de sa plus jeune sœur, qui avait un esprit vif et agile. Rien ou presque ne lui échappait, et elle s’intéressait à bien plus qu’aux partis éligibles et aux plumes d’autruche. Non pas que Catherine fût totalement insensible à l’attrait des partis éligibles et des plumes d’autruche. Elle aspirait parfois à porter de belles robes et des coiffures élaborées, à converser joyeusement avec de beaux messieurs qui la trouveraient enchanteresse. Mais sa première saison lui avait bien appris la leçon : les femmes grandes et maladroites, qui peinent à aligner deux mots, ne sont pas jugées dignes de termes élogieux tels que « enchanteresse ». En vérité, elles ne remportent aucun éloge, car personne ne remarque leur présence. Peu importaient ses yeux dorés captivants qui pouvaient pétiller quand quelque
chose éveillait son intérêt ou ses réparties parfois taquines.
Nul n’avait relevé ces qualités durant sa première saison, tant Catherine restait discrète.
La haute société avait rendu Catherine trop nerveuse pour qu’elle cherche à mettre en évidence son esprit, ou même sa beauté. Elle se résumait ainsi à une personne d’une stature indécemment grande (un mètre soixante-dix-huit !) qui se tenait au bord de la piste de danse, à la fois terrifiée que personne ne lui adresse la parole et terrifiée à l’idée que quelqu’un le fasse. Le plus souvent, c’était la première option qui se réalisait, mais, de temps à autre, un gentilhomme bienveillant tentait d’engager la conversation et elle balbutiait alors vainement, anéantie par une timidité qu’elle n’aurait pu imaginer lorsqu’elle était encore une jeune fille enthousiaste à Glossop.
Trois ans plus tard, elle était toujours intimidée par le beau monde, particulièrement par les séduisants jeunes gens de la noblesse qui, supposait-elle, la regardaient de haut, bien que, naturellement, ils dussent souvent lever les yeux pour le faire. Elle avait tout de même acquis une certaine assurance dans l’intervalle ainsi qu’un sens de l’humour subtil, mais, malgré ces améliorations, elle demeurait trop effacée pour faire impression. Bien entendu, les quatre membres de la famille qui la contemplaient maintenant, les yeux écarquillés et stupéfaits, étaient enclins à partager cette évaluation. Ils étaient habitués aux emportements fantaisistes de Catherine – c’est bien pour ça qu’ils lui avaient permis de faire quelque chose d’aussi original que lire le journal du matin à la table du petit-déjeuner –mais ils ne l’avaient jamais entendue parler sur ce ton. Sa mère la fixait, se demandant si sa fille aînée venait vraiment d’élever la voix.
– Le lui avez-vous déjà dit ? s’enquit Freddy en mangeant ses œufs, qui lui convenaient très bien.
Catherine, sa bile confortablement épanchée, et alors qu’elle était sur le point de revenir à un article sur la loi monétaire, s’interrompit à ces mots.
– Me dire quoi ?
– Oh, bah, s’écria Evelyn, doit-elle vraiment être mise au courant ?
Sir Vincent se tourna vers son épouse.
– Vraiment, ma chère, est-il nécessaire de l’ébruiter devant tout le monde ?
– Me dire quoi ? répéta Catherine.
Liza Fellingham parcourut du regard la salle. Seule sa famille immédiate et Hawkins étaient présents.
– Tout le monde ? Assurément, mes enfants ne sont pas tout le monde. De plus, je n’ai rien dit à ce sujet à Melissa.
À cet échange, l’inquiétude de Catherine s’accrut. Sa mère
s’efforçait rarement de cacher quoi que ce soit à Melissa – ou à quiconque. Elle avait toujours été d’une attitude très franche.
– Me dire quoi ?
Sir Vincent émit un grognement et se tourna vers sa fille. Il plia le journal, abandonnant avec regret tout espoir de le terminer dans le calme et se promettant de ne plus jamais tenter de prendre un repas dans sa propre demeure.
– Il semblerait que votre mère se soit mise un peu dans l’embarras. Rien qui justifie de faire un esclandre.
– Moi ? Sir Vincent, s’écria l’accusée, outrée par le blâme qui lui était imputé. Si ce n’était pour vos dettes de jeu…
Pressentant qu’une des vilaines querelles de ses parents était sur le point d’éclater, Catherine intervint.
– Hawkins, annonça-t-elle fermement à l’employé de maison, nous allons nous retirer au salon. Nous prendrons notre thé là-bas.
– Le salon ? releva Evelyn, surprise. Mais je n’ai pas encore fini mon chocolat. Je ne veux pas aller au salon.
– Et si, ma chère, l’assura son frère en tirant sa chaise. D’ailleurs, ne te plaignais-tu pas il y a un instant de la qualité médiocre de votre chocolat ? Allons.
Evelyn fit encore la moue mais obtempéra, se levant avec une grâce étudiée. Son père manifesta lui aussi sa réprobation avant de céder. Tous quatre suivirent Catherine dans le salon, que sa mère avait redécoré dans le style oriental en vogue, suivant l’exemple du Prince Régent. Les meubles ornés de dragons, le papier peint rouge chinois et les tables en hêtre sculptées pour ressembler à du bambou la faisaient toujours frémir. Heureusement, Lady Fellingham n’avait pas réussi à obtenir le consentement de Sir Vincent pour refaire toute leur maison de ville dans un style similaire.
Ils s’assirent tous, sauf Sir Vincent, qui choisit de s’appuyer contre la cheminée, son coude reposant près d’une pagode laquée. C’était un homme encore assez jeune, à la posture et au comportement avenants. Catherine aimait son père, bien qu’elle perdît souvent patience devant la façon désinvolte dont il traitait la fortune familiale et la manière méprisante dont il usait parfois avec sa mère. Bien sûr, Catherine se rendait compte que celle-ci n’était guère meilleure, importunant intentionnellement son mari avec des questions triviales auxquelles elle savait qu’il portait peu d’intérêt, afin de le contrarier. Ils formaient un couple querelleur et souvent bruyant. Catherine avait pris l’habitude de quitter la pièce lorsqu’elle pressentait
que les choses allaient s’envenimer. Elle détestait les disputes, les voix élevées et les désaccords déplaisants, aussi laissait-elle Evelyn faire à sa guise lorsqu’elle boudait et Frederick obtenir son aide lorsqu’il la demandait. C’était tellement plus facile que de provoquer une scène. Et maintenant, ils semblaient résolus à l’entraîner dans leurs absurdités. Elle tremblait à l’idée de ce que sa mère insensée avait bien pu faire cette fois, surtout si elle avait agi par dépit face aux pertes de son mari. S’il avait simplement cessé de jouer au pharaon, toute la famille aurait été bien plus à l’aise. Mais Catherine avait simplement abandonné l’idée de faire entendre raison à son père.
– Eh bien, dit-elle après que Hawkins eut apporté le thé et refermé doucement la porte derrière lui, nous voilà réunis en privé. Quelle désastreuse nouvelle avez-vous à m’annoncer ?
– Désastreuse ? railla sa sœur. Ce n’est rien d’important. Une tempête dans un verre d’eau, vraiment.
– Ce n’est pas vrai, et tu le sais bien, déclara Freddy en acceptant une tasse des mains de sa mère avant de lancer un regard noir à sa sœur. Tu ne saisis pas bien ce qui s’est passé.
– Assez de chamailleries ! tonna Sir Vincent. Liza, dites à votre fille ce que vous avez encore fait.
Lady Fellingham aurait préféré argumenter davantage avec son mari, mais elle concéda à se concentrer sur le sujet, plus pressant.
– Comme le dit ma chère Evie, ce n’est qu’un accroc insignifiant. Voilà, voyez vous-même. Vous connaissez ma chère amie d’école Arabella Wellesly ?
– Bien sûr, répondit Catherine, la cousine de Lord Wellington.
– Exactement ! s’exclama sa mère. Comme vous le constatez, ma chérie, il n’y a rien de problématique.
Elle croisa les mains sur ses genoux et eut un sourire insouciant.
– Mais, maman, vous ne m’avez rien dit.
– Ah, oui. Eh bien, ma chère amie d’école Arabella a épousé Courtland, expliqua-t-elle. C’était un magnifique mariage à Saint-Georges. Tous les gens importants y ont assisté, même le Prince Régent, qui arborait un gilet tristement resté célèbre car de plusieurs tailles trop petit. Je me souviens d’avoir fait remarquer…
– Courtland est sous les ordres du duc de Raeburn, intervint Freddy, qui pensait que ce détail était plus important que ce que le régent avait porté à une fête plus de vingt ans auparavant.
– Je sais qui est Courtland aussi bien que de qui il relève, dit Catherine, se demandant combien de temps cela prendrait encore.
Sa mère était célèbre pour ses digressions, particulièrement dans des occasions comme celle-ci, lorsqu’elle répugnait à aller au cœur du sujet.
– Oui, eh bien, voyez-vous, Arabella et moi sommes très proches. Nous sommes des amies intimes, voyez-vous, et nous discutons de tout. Elle connaît tous les détails de notre vie familiale tout comme je connais ceux de la sienne, précisa-t-elle, quelque peu anxieuse, tandis que ses trois doigts du milieu tapotaient le coussin sur lequel elle était assise, un tic nerveux qu’elle adoptait chaque fois qu’elle devait faire une confession déplaisante.
Catherine avait du mal à deviner où menaient toutes ces informations.
– Et alors ?
–
Eh bien, c’est vraiment une personne merveilleuse, attentionnée, pleine de sentiments et tout à fait compatissante envers ma souffrance, expliqua Lady Fellingham.
– Votre souffrance, maman ?
Pendant un moment, sa mère parut embarrassée, puis elle redressa l’échine et regarda sa fille aînée dans les yeux.
– Oui, ma chère, ma souffrance. Et notre précieuse Arabella a conçu un merveilleux stratagème pour mettre fin à ma, euh, souffrance.
– Je suis désolée, maman, mais vous allez devoir être plus précise. Qu’entendez-vous par souffrance ? insista Catherine.
Liza rougit franchement.
– Je détesterais en parler.
– Assurément, vous pouvez me dire n’importe quoi que vous diriez à Lady Courtland, fit-elle remarquer avec raison.
Bien qu’elle eût voulu nier la logique de cette affirmation, Lady Fellingham en était incapable, et elle poussa un profond soupir avant d’avouer :
– Des problèmes d’argent. Votre père…
– Nom d’une pipe, ma chère, l’interrompit Sir Vincent, mais c’est votre péché, pas le mien. Disculpez-moi de tout méfait.
– Comment le pourrais-je ? s’écria-t-elle. Vos misérables paris nous ont mis dans cette situation précaire en premier lieu.
– Votre mère a vendu des commissions dans l’armée du roi contre rémunération, déclara Sir Vincent, sans égard pour les sentiments de son épouse.
– Fellingham ! s’exclama Liza, indignée. Annoncer cela de cette façon !
Elle jeta un coup d’œil à sa fille.
– Il fait paraître cela si sordide, Catherine, alors que ce n’était rien de tel. Ces jeunes gens voulaient faire avancer leur carrière, et ma chère amie Arabella voulait les aider, tout comme moi. Vous savez ce que c’est…
Lady Fellingham s’interrompit en voyant sa fille quitter la pièce.
– Catherine, très chère, où allez-vous ? Frederick, où votre sœur peut-elle bien aller ?
Catherine n’allait nulle part, bien qu’elle ne fût pas encline à le dire à sa mère, car elle était trop en colère pour parler. Après avoir refermé la porte du salon derrière elle, elle se réfugia dans l’un des grands fauteuils en cuir dans le bureau de son père. Comme aucun de ses parents ne s’adonnait beaucoup aux tâches administratives du quotidien, Catherine passait souvent de nombreuses heures seule dans cette pièce tranquille, se cachant de sa famille et lisant le dernier roman emprunté à la bibliothèque.
Confortablement installée dans le fauteuil, Catherine s’exhorta au calme. Une petite partie d’elle-même se demandait pourquoi elle était si bouleversée. Sa mère se mettait toujours dans des situations délicates, et celle-ci n’était probablement pas pire que les autres. Mais ce genre de raisonnement froid ne fonctionnait pas ce matin-là, car elle savait que c’était différent. Même si sa famille ne saisissait pas les ramifications de la dernière transgression de sa mère, elle, du moins, les comprenait. Une telle chose était pire qu’un scandale ; c’était un crime. Imaginez ! Se mêler des commissions ! Mon Dieu, pensa-t-elle, le cœur battant aux tempes alors que la réalité de la situation s’imposait à elle, sa mère représentait un risque pour la sécurité nationale. Assurément, le 10e régiment de hussards allait
débarquer d’un instant à l’autre dans des uniformes bleus étincelants et l’emmener. Et où ça ? Où vont les prisonniers de la Couronne ? Newgate ? C’était certainement pire que la prison pour dettes où son père semblait déterminé à les envoyer tous. Sa mère avait raison, bien sûr : la véritable cause du problème était Sir Vincent et son mode de vie insouciant. Même s’ils se sortaient de ce mauvais pas avec seulement quelques égratignures, il y en aurait toujours un autre, car nul ne pouvait empêcher son père de vider les coffres de la famille et sa mère d’essayer d’éviter leur épuisement. Que faire ? Les choses ne pouvaient pas continuer ainsi bien longtemps. Soit sa mère ferait quelque chose d’encore plus extravagant qui les mettrait au ban de la société, soit son père les ferait vivre en reclus dans le Dorset, et ce de façon permanente.
Est-ce qu’ils pourraient en arriver là ? La vérité, c’était que Catherine n’avait aucune idée du véritable état des finances familiales. Elle savait qu’ils étaient suffisamment à l’aise, mais dans quelle mesure exactement, cela demeurait un mystère. Elle-même n’avait jamais fait d’efforts pour comprendre la nature des choses. Elle savait qu’ils avaient assez d’argent pour envoyer Freddy à Oxford et pour acheter des robes en crêpe à Evelyn. Au-delà de cela, elle n’y avait jamais beaucoup réfléchi. Et sa mère refusait de parler d’argent avec elle, prétendant qu’envisager toutes choses matérielles autres que les vêtements et les chapeaux était vulgaire. Étaient-ils dangereusement proches d’être poursuivis par les créanciers, ou tout cela n’existait-il que dans l’esprit de sa mère ?
La seule chose rationnelle, décida Catherine, en l’absence d’informations complètes, était d’en recueillir davantage. Pour ce faire, elle devrait convaincre sa mère de partager les registres
comptables. Ensuite, lorsqu’elle aurait une compréhension adéquate de l’état réel des faits, elle pourrait déterminer la meilleure façon de procéder. Si la situation n’était pas aussi désastreuse que sa famille le pensait, elle apaiserait les inquiétudes de sa mère en lui montrant calmement les comptes. Si ses prédictions étaient justes, elle suggérerait de simples économies pour alléger le budget. Catherine refusait absolument de croire qu’elle ne pouvait rien faire. S’il n’y avait plus de dépenses à réduire ou que sa mère n’entendait pas raison, alors elle apprendrait elle-même à jouer au pharaon et instruirait son père sur la façon d’améliorer son jeu. S’imaginer dans un tripot, à prendre des leçons du croupier sur la façon de parier, l’amusa tellement qu’elle se mit à rire. Après quelques minutes, son hilarité se transforma en un gloussement, et elle se leva du familier fauteuil en cuir. Avant de pouvoir mettre en œuvre quelque plan que ce soit, elle devait sortir sa famille de leur débâcle actuelle, une tâche qu’elle espérait ne pas être impossible.
Lorsque Catherine revint au salon, Hawkins débarrassait le thé, plaçant les tasses sur le plateau de service à côté de la théière en argent.
– Ah, vous voilà, jeune fille, s’exclama sa mère en agitant son mouchoir vers elle. Où étiez-vous passée ? Personne ne vous a-t-il dit qu’il est impoli de quitter une pièce de cette façon ? Ne vous ai-je pas élevée avec plus de bonnes manières que cette ridicule démonstration n’en a montré ?
Catherine ne pensait pas qu’étant donné les circonstances, sa conduite méritât d’être critiquée, et elle ignora les commentaires de sa mère. Elle attendit que Hawkins eût quitté la pièce pour poursuivre.
– Où est passé mon père ? demanda-t-elle en constatant qu’il était le seul à ne plus être dans la pièce.
– Parti, répondit sa mère.
– Parti où ?
Catherine ignora la façon dont sa mère s’était jetée sur le divan, feignant l’évanouissement.
– Simplement parti.
Catherine se tourna vers Freddy.
– Où est-il allé ?
– À son club, j’imagine.
– Qu’est-ce que cela peut faire ? se révolta Evelyn. Maman, vous aviez promis que nous pourrions aller chez la modiste de Bond Street aujourd’hui pour que j’achète un des élégants chapeaux de Madame Claude.
– J’ai bien peur, Evelyn, que tu ne comprennes pas tout à fait la gravité de la situation. Ta mère a vendu des commissions dans l’armée du roi.
Catherine répéta cela lentement et distinctement, espérant qu’une articulation claire lèverait l’obstacle qui séparait sa sœur d’une compréhension totale.
Evelyn posa sa tête sur sa paume et parut profondément ennuyée.
– Oui, oui, je sais tout cela. Je ne vois toujours pas pourquoi tu dois être aussi sinistre à ce sujet. C’était une mauvaise chose à faire et elle ne le fera plus, n’est-ce pas, maman ? Maintenant, pourquoi ne pouvons-nous pas aller acheter des chapeaux ?
Catherine ferma les yeux et compta silencieusement jusqu’à dix.
– Peut-être ne t’est-il pas encore venu à l’esprit que tu ne pourras pas aller aux bals si votre mère est à Newgate.
– Vraiment, Catherine, tu exagères, s’exclama Freddy. Enfin, nous ne sommes pas complètement perdus, n’est-ce pas ?
– Je l’ignore, Freddy, mais nous ne pouvons pas courir ce risque. Nous devons y mettre fin immédiatement.
– Ne pas aller aux bals ? couina Evelyn, toute expression distante disparaissant de son visage. Ce n’est pas possible, maman. Je pourrai toujours aller aux bals quoi qu’il arrive, rassurez-moi ?
Mais Lady Fellingham n’était pas en état de donner à sa fille les assurances qu’elle cherchait.
– Oh, Cathy, tu ne penses pas que c’est aussi grave que cela, n’est-ce pas ? demanda Evelyn à sa sœur aînée.
Visiblement pâle, Lady Fellingham se leva et traversa la pièce pour rejoindre sa fille.
– Que ferais-je en prison ? Me feront-ils porter des chaînes ?
En voyant combien sa mère était bouleversée, Catherine regretta ses paroles sévères. Elle voulait bien sûr lui donner une leçon, mais pas aux dépens de sa tranquillité d’esprit. Aussi mal avisée qu’elle fût, sa mère n’avait fait que tenter d’aider.
Dès que Catherine mettrait la main sur les comptes de la maison, elle veillerait à ce qu’il n’y ait plus de tragédies shakespeariennes mises en scène dans le salon oriental.
– Nous devons faire de notre mieux pour ne jamais avoir à le découvrir.
– Oh, très chère maman.
Evelyn se précipita vers sa mère et lui tendit les mains, l’horreur de la situation commençant enfin à l’imprégner.
– Vous permettront-ils d’emmener une femme de chambre ?
Lady Fellingham pressa les mains de sa fille.
– Je l’ignore, ma chère enfant, je l’ignore vraiment.
Catherine se détourna de cette scène et croisa le regard de Freddy. Tous deux se mirent à rire de ces absurdités touchantes.
– Je ne vois pas ce qu’il y a de si drôle, rétorqua Evelyn. Notre mère va à Newgate et moi – ici, sa voix se brisa – je ne pourrai plus jamais aller à un bal. C’est assurément l’heure la plus sombre que nous ayons jamais connue.
– Ne jette pas encore tes chaussons de danse, dit Freddy, essayant de contrôler son rire. Je suis sûr que tout ira bien.
L’amusement de Catherine s’estompa également, bien que ses yeux continuassent à pétiller.
– Bien, asseyons-nous tous et parlons de cela raisonnablement.
Evelyn conduisit sa mère au canapé et s’assit doucement à côté d’elle, gardant ses mains étroitement serrées dans les siennes.
– Très bien, maman, dites-moi comment cela s’est fait, ordonna Catherine.
– Comment quoi s’est fait, ma chère ?
Fermant les yeux un instant, Catherine pria pour qu’on lui accorde de la patience.
– Comment Lady Courtland et vous avez-vous réussi à trafiquer les listes ?
– Oh. Lady Courtland est très intelligente, et c’est elle qui a conçu le stratagème. C’était assez simple, ma chère. Vous savez certainement comment tous ces garçons – principalement des cadets, bien sûr – veulent devenir commandants dans les régiments d’infanterie. Mais il y a si peu de postes vacants, surtout en temps de paix, et certains doivent attendre des années sur ces horribles listes. Arabella leur permettait de contourner la file d’attente, en échange d’une modeste somme.
Ayant tout avoué, elle appuya sa tête contre les coussins et soupira.
Sa fille aînée la regardait avec stupéfaction.
– Vous avez accepté des pots-de-vin.
Lady Fellingham releva la tête.
– Des pots-de-vin ?
Elle réfléchit pendant quelques secondes avant de dire :
– Non, je ne pense pas que c’étaient des pots-de-vin. Le mot est si dur, alors qu’Arabella et moi ne faisions que fournir un service d’utilité publique.
Catherine n’avait pas l’énergie de débattre sur ce point.
– Et donc ?
Des yeux bleus la fixèrent sans expression.
– Et donc quoi, ma chère ?
– Que s’est-il passé après que vous avez reçu une compensation pour votre service d’utilité publique ?
– J’ai rapporté l’argent à la maison et j’ai payé les gages des domestiques.
Catherine s’exhorta à rester patiente.
– Je veux dire, que s’est-il passé avec lesdits garçons dont vous aviez les noms ?
Lady Fellingham gloussa nerveusement.
– Oh, cela. Arabella a mis la main sur les listes de commissions en attente de son mari et y a ajouté quelques noms avant qu’il ne les soumette au duc de York pour sa signature.
– Quelle diablerie, s’exclama Freddy, qui avait écouté attentivement, vous voulez dire que Lord Courtland ne savait rien de tout cela ? Quel genre d’imbécile est-il ?
– Freddy, vous ne parlerez pas ainsi dans mon salon, s’indigna sa mère. Réservez ce jargon vulgaire pour votre club.
Au grand amusement de Catherine, Freddy rougit et fronça les sourcils en même temps.
– Vraiment, maman, mon frère soulève un point important. Comment Lord Courtland pouvait-il ignorer ce stratagème ?
– Je ne serai jamais assez mal élevée pour présumer de ce que Lord Courtland sait ou ne sait pas, justifia-t-elle sans la moindre trace d’ironie. Il ne s’est pas mêlé de nos affaires, et je l’ai respecté pour cela.
– Très bien, dit Catherine, sachant qu’elle n’obtiendrait pas de meilleure réponse. Qui d’autre est au courant ?
– Seulement les hommes qui ont payé notre mère pour leurs commissions, répondit Freddy.
– De combien de personnes parlons-nous ?
– Oh, ciel, comment le saurais-je ? trembla sa mère. Tout s’est passé si vite, et cette chère Arabella s’occupait des menus détails.
– Combien, mère ?
Lady Fellingham retira ses doigts de l’étreinte d’Evelyn et passa une main pâle sur son front.
– Oh, peut-être dix, quinze tout au plus. Nous venons tout juste de mettre au point ce stratagème.
Puis elle ajouta avec une étincelle de rébellion :
– Et, vraiment, je ne vois pas pourquoi cela n’aurait pas continué à fonctionner. C’était une très bonne idée.
Plusieurs répliques traversèrent l’esprit de Catherine, mais elle commençait à comprendre que rien de ce qu’elle pourrait dire ne convaincrait sa mère de l’énormité de son délit.
– Comment le pot aux roses a-t-il été découvert ?
– Un des amis de Freddy. Pershing, Parsnip ou quelque chose comme ça, souffla Lady Fellingham avec amertume. Cet imbécile a tout raconté à votre frère.
– Je pense que nous devons beaucoup à cet ami, fit remarquer Catherine. Ce n’est pas souvent que quelque chose de bien arrive grâce à Freddy.
– Je t’en prie, Catherine, ironisa son frère, très offensé. Je ne nous ai pas mis dans cette situation.
– Tu as raison, Freddy, concéda-t-elle. Je m’excuse pour l’injustice que je te fais.
– De quelle situation parlez-vous ? demanda sa mère. Arabella et moi allons cesser immédiatement, et personne n’a besoin d’en savoir davantage. Voilà, j’ai résolu le problème. J’enverrai simplement un mot à cet effet à mon amie, et nous considérerons l’affaire close.
Catherine savait que tout ce qui concernait sa mère était rarement simple. Elle insista pour qu’elles aillent rendre visite à Arabella, Lady Courtland, ensemble, afin de s’assurer que le message serait non seulement transmis mais bien reçu.
– À cette heure ? releva Lady Fellingham, consternée. Vendre des commissions dans l’armée du roi peut ne pas être dans vos standards d’exigence, mais je vous assure, ma chère, que faire des visites indécemment matinales n’est pas dans les miens ! Nous ne nous abaisserons pas à de telles inconvenances.
– Je trouve vos scrupules admirables, maman, bien qu’un peu mal orientés. Nous irons sur-le-champ, car la nature confidentielle de notre affaire sera mieux servie si nous nous présentons avant les heures de visite convenables, expliqua Catherine.
À ce moment précis, les portes du salon s’ouvrirent pour laisser entrer Sir Vincent, qui était en train de placer son chapeau sur sa tête.
– Bien, je pars pour mon club. Ah, Catherine est revenue. J’espère, ma chère, que vous avez trouvé une solution
convenable à ce pétrin, car j’estime avoir déjà gaspillé suffisamment de mon temps. Sachez toutefois que je suis là si vous avez besoin de conseils.
Sur cette promesse, il inclina son chapeau et se tourna, prêt à quitter la pièce aussi rapidement que possible.
– Soyez assuré, papa, que mère et moi allons immédiatement rendre visite à Arabella pour mettre fin à cette absurdité, annonça froidement Catherine, avec un regard en coin vers sa mère, qui ne s’était pas encore résignée à son sort.
– Très bien, approuva-t-il, heureux qu’une ligne de conduite ait été décidée et qu’elle ne l’impliquât pas.
– Je vous remercie pour votre aimable proposition de m’accompagner, Catherine, dit sa mère d’un ton qui traduisait beaucoup d’agacement et très peu de gratitude. Mais nous ayant mis dans ce « pétrin », comme votre père le qualifie si élégamment, je pense qu’il est juste que j’aille chez Arabella par moi-même.
Catherine pouvait facilement imaginer sa mère faire exactement cela : se rendre à la demeure d’Arabella et repartir aussitôt arrivée – sans même frapper à la porte.
– Et c’est très aimable à vous de vouloir m’épargner, maman, mais je dois insister pour suivre cette affaire jusqu’au bout afin de m’assurer qu’elle soit correctement résolue.
Lady Fellingham plissa le nez, comme si elle sentait quelque chose de particulièrement désagréable.
– Je ne pense vraiment pas…
– Bon sang, Liza, s’agaça Sir Vincent, laissez la petite venir avec vous si elle y tient. Nous avons besoin de quelqu’un pour vous surveiller et, si elle se porte volontaire pour cette tâche, je suis d’avis qu’il faut la laisser faire.
– Vraiment, Sir Vincent, vous dites de telles absurdités, gloussa Lady Fellingham, ses doigts anxieux triturant l’étoffe de brocart du canapé. Mais entendu, ma chère, si vous souhaitez venir. J’aurai juste besoin de me changer d’abord, tout comme vous.
Catherine connaissait bien le penchant de sa mère pour repousser les choses désagréables et n’avait nullement l’intention de le tolérer.
– Bien sûr. Mais je dois vous prévenir que si vous vous attardez trop longtemps à votre toilette, je serai contrainte de partir sans vous.
– Bien, alors, intervint Sir Vincent avant de risquer d’être ramené dans la conversation par un regard ou une question. Comme je l’ai dit, je dois partir. Je rencontre Beaufort au club, donc je dois prendre congé maintenant. Ma chère.
Il s’inclina devant son épouse, tourna les talons et disparut avant que quiconque puisse lui dire adieu.
– Maman, j’aimerais tellement vous accompagner pour vous apporter mon soutien, dit Evelyn, restée assise sur le canapé, méditative quant à la perspective d’un avenir sans bals. Mais je pense qu’il est préférable que je monte me coucher. Je me sens très fatiguée.
– Je comprends, ma chère, l’assura sa mère. Vous êtes d’une constitution délicate, tout comme votre maman. Allez vous reposer.
Elle se pencha et embrassa sa fille sur la joue.
– Un peu de repos vous revigorera. Vous devez être belle pour le bal de Lady Sefton ce soir.
– Le bal de Lady Sefton ? s’étonna Catherine à voix haute. Y allons-nous toujours ?
– Que veut-elle dire ? demanda Evelyn nerveusement, le ton de sa voix montant dans les aigus. Pourquoi n’irions-nous pas ? Si maman doit aller en prison et si je suis privée de bals, ne devrions-nous pas aller à tous ceux que nous pouvons tant que nous sommes encore en mesure d’y participer ?
– Votre mère ne va pas à Newgate, insista Lady Fellingham avec peu de conviction et un sourire forcé. Et bien sûr que nous allons au bal de Lady Sefton. Nous avons acheté cette charmante mousseline ivoire précisément pour cette occasion. Maintenant, allez vous reposer, votre sœur et moi allons régler toute cette affaire. Ne vous inquiétez pas une minute de plus à ce sujet.
Evelyn lança un regard suffisant à Catherine et embrassa sa mère sur la joue avant de quitter le salon.
– Freddy, ordonna Catherine, s’il te plaît, dis à Caruthers de faire avancer le carrosse immédiatement. Mère et moi allons nous changer sans tarder. Il vaut mieux que nous nous débarrassions de ce désagrément aussi rapidement que possible.
– Vraiment, Catherine, si c’est l’attitude que vous comptez adopter, alors je pense qu’il vaut mieux que vous restiez ici. Arabella n’a pas besoin que vous la bouleversiez ainsi le matin du bal de Lady Sefton, décréta Lady Fellingham, appelant sa femme de chambre pour l’aider à s’habiller.
Se sentant épuisée, Catherine regarda sa mère quitter le salon après Freddy, se demandant à quelles absurdités ils se livreraient ensuite. La propension de sa famille aux grands gestes théâtraux expliquait pourquoi elle ne s’impliquait pas dans leurs drames quotidiens. Il était tellement plus facile de lire le journal comme si personne d’autre n’était là, et de simplement quitter la pièce quand faire semblant devenait trop difficile.